Le conjoint survivant et la notion de « rapport spécial en moins prenant » concernant les libéralités reçues par lui par le défunt

Publié le : 02/03/2022 02 mars mars 03 2022

La Cour de cassation a récemment été saisie de deux litiges, l’invitant à se prononcer en matière des règles d’imputation des libéralités entre époux sur les droits légaux du conjoint survivant. La 1ère Chambre civile a affirmé que le conjoint survivant est tenu à un rapport spécial en moins prenant, des libéralités reçues par le défunt. 
Cette décision invite à une plus grande vigilance lors de la rédaction de libéralités.

Dans la première affaire, un défunt laisse pour lui succéder : une épouse et deux enfants issus d’un précédent mariage. Les époux avaient acquis un appartement, pour lequel ils avaient prévu une clause de tontine. Cette clause prévoit qu’en cas de décès, l’appartement est dévolu au dernier survivant du pacte. À l’ouverture de la succession, les enfants demandent la nullité dudit pacte, pour atteinte à la réserve héréditaire. 
La demande est accueillie en appel, où la juridiction du fonds déclare que le pacte tontinier constitue une donation déguisée entre époux, qui conformément à l’article 843 du Code civil, doit alors faire l'objet d'un rapport successoral pour intégrer la masse à partager. 

Dans la seconde affaire, un défunt laisse également pour lui succéder son épouse et deux enfants issus d’un précédent mariage. Le testament authentique du défunt institut son épouse comme légataire à titre particulier d’une maison d’habitation, des meubles s’y trouvant et d’une certaine somme d’argent. À l’ouverture de la succession, les enfants contestent l’étendue des droits du conjoint survivant, au motif que cela porte atteinte à leur réserve héréditaire, et portent le litige jusque devant la Cour d’appel. Cette dernière décide d’imputer le legs sur les droits légaux du conjoint qui sont d’un quart en pleine propriété. 

Le fondement des pourvois des conjointes survivantes sera distinct, pourtant, la Cour de cassation rejette leurs demandes et rappelle à la lettre près, le contenu des articles 758-5 et 758-6 du Code civil. 

Le premier prévoit que : « Le calcul du droit en toute propriété du conjoint prévu aux articles 757 et 757-1 sera opéré sur une masse faite de tous les biens existant au décès de son époux auxquels seront réunis fictivement ceux dont il aurait disposé, soit par acte entre vifs, soit par acte testamentaire, au profit de successibles, sans dispense de rapport.
Le conjoint ne pourra exercer son droit que sur les biens dont le prédécédé n’aura disposé ni par acte entre vifs, ni par acte testamentaire, et sans préjudicier aux droits de réserve ni aux droits de retour.
 ». 

Tandis que le second dispose que « Les libéralités reçues du défunt par le conjoint survivant s’imputent sur les droits de celui-ci dans la succession. Lorsque les libéralités ainsi reçues sont inférieures aux droits définis aux articles 757 et 757-1, le conjoint survivant peut en réclamer le complément, sans jamais recevoir une portion des biens supérieure à la quotité définie à l’article 1094-1. ».

La Cour de cassation rend alors une solution identique pour les deux affaires, prise par combinaison de ces deux dispositions : « Le conjoint survivant est tenu à un rapport spécial en moins prenant des libéralités reçues par lui du défunt dans les conditions définies à l’article 758-6 ». 

Dans la première affaire, l’épouse qui ne contestait pas le caractère déguisé du pacte tontinier, demandait le bénéfice de la règle spéciale d’imputation prévue par l’article 758-6 du Code civil, afin d’éviter la règle de l’article 843 du Code civil applicable en matière de rapport successoral pour les héritiers ab intestat. 
Elle soutient que la donation doit seulement s’imputer sur ses droits légaux sans qu’il ne soit tenu à une restitution dans la masse partageable. 
La Cour de cassation opère cependant un rejet en substituant aux éléments de soutien de la décision de la Cour d’appel, un motif de pur droit et en jugeant que la donation déguisée doit être prise en considération dans le règlement de la succession, dans les limites des modalités prévues à l’article 758-6 du Code civil, et corrige ainsi le motif erroné de la Cour d’appel, qui évoquait « la masse à partager ».

Pour la seconde instance, l’épouse évoque la présomption de dispense de rapport des legs prévue à l’article 843 selon lequel les dons faits à un héritier sont réputés faits hors part successorale et donc dispensés de rapport successoral. La première chambre civile rejette également le pourvoi et rappelle que la présomption de dispense de rapport des legs prévue à l’article 843 du Code civil est inapplicable au conjoint survivant. 

Référence : Cass. civ 1ère 12 février 2022 n°19-25.158 et 20-12.232

Définitions :

  • Libéralité : acte juridique fait entre vifs (personnes vivantes) ou dans une disposition testamentaire par laquelle une personne transfert au profit d'une autre, dit "le légataire" un droit, un ou des biens dépendant de son patrimoine.
  • Réserve héréditaire : part des biens et des droits successoraux dont la loi garantit la transmission à certains héritiers dits "réservataires"
  • Pacte tontinier : convention intervenante entre plusieurs personnes mettant des biens ou des capitaux en commun avec cette particularité que les sommes versées, leurs produits ou les biens meubles ou immeubles qui auront été achetés à l'aide du capital ainsi constitué appartiendront au dernier survivant.
  • Rapport successoral : destiné à respecter le principe du partage équitable entre héritiers, le rapport successoral réintègre fictivement les donations en avancement de parts successorales réalisées du vivant du défunt en faveur d’héritiers présomptifs, pour calcul des parts avant partage de la succession. 

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